Folies Lyriques
La Périchole : L'Ivresse Satirique d'une Société en Déclin
Sous les traits d'une comédie délirante, La Périchole dévoile une satire sociale aussi mordante qu'intemporelle. « Il grandira, car il est espagnol… » : cette phrase absurde, joyau du livret, s'inscrit au Panthéon des airs d'Offenbach, aux côtés du Roi Barbu et du Brésilien qui a de l'or. Avec ses librettistes fétiches, Meilhac et Halévy, Offenbach tisse une partition échevelée et cocasse, véritable préfiguration des Monty Python, dissimulée sous les apparences policées du Second Empire.
Mais derrière l'exubérance, la mélancolie affleure. La pauvreté, la soumission aux puissants et les intrigues de cour sont autant de reflets d'une société en déclin. La Périchole capte ainsi l'esprit d'un temps où l'Empire vacille, tout en résonnant profondément avec nos préoccupations contemporaines.
Célébration du rire et miroir des inégalités, cette œuvre singulière prouve que la légèreté n'est jamais loin de la gravité. Un chef-d'œuvre intemporel, où Offenbach révèle avec brio que l'humour est souvent la meilleure arme pour dire la vérité.

@Christian_Jarniat
Le roi, l’amour et ses bouffons
Offenbach écrit sa Périchole à cheval sur le Second Empire et sur la Trosième République.
Le règne de Napoléon III, brutalement interrompu par la guerre avec la Prusse, s’était libéralisé dans les dernières années de l’Empire. Et c’est dans cette fin de règne qu’Offenbach déploya son talent.
Si on s’y arrête un peu, l’histoire de cette Périchole n’a pas de quoi faire rire : l’amour y est empêché car il faut manger, et les mariages sont forcés. La fin du premier acte - la scène où la toile qui va entourer Piquillo et la Périchole, se tisse - est une orgie, presqu’un viol ! Et pourtant tout va tellement vite qu’on est embarqué et obligé de rire : c’est un vaudeville.
Et c’est en même temps la queue de comète du romantisme qu’on voit passer dans cette œuvre : les espagnolades chères à Mérimée, Hugo et tant d’autres, la figure bohème de l’artiste, et aussi ce vieux prisonnier qui semble surgi d’un roman d’Alexandre Dumas !
Nous souhaiterions que cette flamboyance recherchée par le romantisme dans l’Espagne, nous la retrouvions ici, comme un écho tardif, fantasque et tendre. Le Grotesque se retrouve mêlé au Sublime, l’horrible s’abîme dans le bouffon, le lyrisme et le drame sont scellés. Mais à la différence qu’il faut rire, rire à tout prix car on nous a payés pour ça ! comme le dit d’entrée de jeu le chœur.

Tout est là, mêlé, mais par un maître d’œuvre amusé, insolent danseur mondain et bon père de famille : Offenbach. Un spectateur placide qui se régale, et nous avec lui. Pour ce faire, il n’y a pas besoin du folklore ni du bestiaire d’une Illyrie sud-américaine. La force est déjà là, dans les lignes d’un livret admirablement ciselé par Meilhac et Halévy, et dans la force musicale d’Offenbach. La campagne mexicaine de Napoléon III résonne avec ce Pérou fantastique. Même si tout cela est bien loin aujourd’hui, notre imaginaire teinte encore d’aventures ce continent-là. Et derrière cela, il y a un trio de vaudeville : La Périchole, Piquillo et le vice-roi. L’amour est là, il se réclame, se prend, se donne, semble s’acheter, mais il est surtout dans l’œuvre elle-même, dans l’attention amusée aux êtres, dans la tendresse des peintures de mœurs que croque cet opéra-bouffe. La Périchole est une œuvre double, cruelle par le trait et tendre par le sentiment… presque un mélodrame. L’actrice - maîtresse du roi : la corde parait usée, c’était la même que Mérimée utilisait déjà quelques années auparavant avec Louis XVIII pour son Carrosse du Saint-Sacrement. En lui reprenant le motif pour La Périchole, Offenbach ne fait que saisir un patronage : Mérimée est entre temps devenu un des proches de l’impératrice Eugénie. On a peu de mal à reconnaître Napoléon III sous les traits du vice-roi ; on a peu de mal aussi à en reconnaitre d’autres. La corporation des comédiennes a approvisionné, et continue d’approvisionner loyalement et indéfectiblement le désir des puissants : elle fait son devoir. Le troisième du trio, Piquillo, sera sauvé du suicide in extremis par deux compères, tout comme Papageno mais pas pour actionner un carillon magique : pour tomber encore plus bas en faisant l’homme de paille… Pas de merveilleux, seulement la crudité et la violence du pouvoir. Pas de pouvoir sans violence, pas de satire du pouvoir sans montrer la violence. Derrière le décorum du vaudeville, un balancement savamment cadencé : grave et léger, superficiel et profond… La Périchole n’est pas qu’une bouffonnerie mais une danse au-dessus d’un gouffre, et il ne faut pas cesser de rire pour ne pas tomber ! L’autre aspect qu’il nous importe de souligner est celui de l’artiste et du pouvoir. La Périchole est un opéra-bouffe. Voilà l’autre porte d’entrée : les bouffons. La place de l’artiste auprès des puissants. Comme le vice-roi qui erre dans les rues de Lima, à la recherche masochiste d’une vérité (quelqu’un qui dira du mal de lui !), et qui finira par trouver son bonheur avec la Périchole… Les bouffons sont là pour rappeler aux rois qu’ils sont des hommes, par l’art de l’insolence. La Périchole est l’insolence, jamais dupe et faussement naïve. Et au passage, ici, même les rois, poussés par l’amour, deviennent bouffons… Mais c’est avant tout le pouvoir et le peuple qui sont mis en scène par Offenbach. Et pour faire entendre ces deux mondes, nous marquerons deux espaces, la rue et le palais. Entre ces deux lieux, un simple rideau. Un simple rideau qui est là comme un mur. Peut-être léger, peut-être volatil, mais la frontière est marquée. Seuls la Périchole et Piquillo feront l’expérience de le franchir car ils sont faits de la même étoffe. Deux arlequins sachant assez se contorsionner pour avancer dans l’un et dans l’autre… Du théâtre dans le théâtre en somme ! Offenbach est, avec Labiche, un de ces faux superficiels, ou de ces « superficiels par profondeur ». Il ne fut pas un officiel mais un bon bourgeois, et on n’en fera pas un révolutionnaire. Il « dansa » ! lucide, tranchant, avec la délicatesse de ne pas s’attarder. C’est cette condition paradoxale de l’artiste, toujours sur une crête à flirter avec l’insolence, la beauté et l’amusement, tout en gardant l’œil ouvert, en coin, pour guetter la permission ou l’adoubement providentiel… Un art poétique du bon goût dans l’insolence ! 1868 : 1ère version en deux actes ; 1874 : 2ième version en trois actes et quatre tableaux (Le Second Empire chute en 1870…) L’Espagne et le Romantisme français, Ernest Martinenche – Hachette, 1922. Mozart, La Flûte enchantée, acte II