top of page

CABARET

« Il y avait un cabaret et il y avait un maître de cérémonie… et il y avait une ville qui s’appelait Berlin, dans un pays appelé Allemagne… et c’était la fin du monde ».

 

Nous nous interrogeons bien souvent sur les raisons qui font qu’une œuvre traverse le temps, et puisse s’adresser, à des générations d’intervalle, à des individus aux aspirations et aux goûts différents.  Quelques fois nous tombons sur un joyau qui tire sa richesse, non  de sa rareté comme ce peut être le cas dans l’économie, mais de son universalisme. Dans la culture, une œuvre n’est riche que parce qu’elle est populaire, qu’elle parle à tous d’une langue qui ne sacrifie en rien aux simplifications et aborde sans tabou les questions qui se posent à la société.

Cabaret est un de ces joyaux, que les Folies d’O avec le soutien du Département, souhaite partager avec le plus large public. Il existe un lien très serré entre cette pièce montée par John Kander et Fred Ebb en 1966 à Broadway, à partir des textes d’Isherwood et de Van Druten, et West Side Story, que nous avons accueilli l’année dernière. Ainsi Kander a débuté comme pianiste répétiteur sur West Side Story, et Harold Prince fut le coproducteur des deux pièces. Dans les deux cas, nous avons à faire à des êtres qui tentent d’exister, d’affirmer leur choix et de vivre libres, qui refusent d’être les objets d’un destin qu’ils n’ont pas choisi et dont ils réfutent l’issue. Au bord de l’abîme, celui de l’avènement du nazisme dans Cabaret ou du racisme dans West Side Story, ils n’en continuent pas moins d'être ce qu’ils sont. Ces êtres tentent de résister, d’une façon qui peut paraître dérisoire mais qui est tellement humaine, à l’irrésistible ascension d’un mouvement historique qui provoquera leur perte. Et ici la comédie musicale accède au rang de tragédie.

Cette tragédie nous plonge dans le Berlin des années 30, dans ce champ d’expérimentation culturelle que sont les cabarets, à l’instar du Kit Kat Club toile de fond de cette pièce. Nous voilà plongés par évocation dans l’univers pictural de Grosz et de Kokoschka, dans l’univers sonore de Kurt Weill, dans l’univers romanesque et dramatique d’Alfred Döblin, de Piscator et de Brecht, et dans l’univers cinématographique de Fritz Lang ou de Marlène Dietrich. Dans cet univers peuplé d’ombres, la danse et le chant de l’héroïne, Sally Bowles, bien que martelant le célèbre « Bienvenue au cabaret » n’arrivent pas à effacer le vrombissement de l’irrésistible ascension du nazisme, ce bruit sourd, oppressant qui à l’instar d’une lame de fond s’apprête à emporter l’Humanité, dans sa chair comme dans son âme.

Malgré l’inéluctabilité de cette lutte entre la Culture et la Barbarie, ce bal de l’humanité qui se déroule sous nos yeux et ses chants résonnent encore dans notre monde actuel, preuve, s’il en était encore besoin, que le faible ne peut vaincre la force et la loi du fait que par la puissance de la Culture.

Tels que nous sommes, chefs d’orchestres, metteurs en scène, chanteurs, artistes, saltimbanques, nous  ne pouvons qu’être sensibles à cet éternel combat qu’est la Culture magnifié dans cette pièce unique.

L1053404_edited.jpg

@Maurice Fouilhé

Olivier Desbordes, metteur en scène

Mon propos est de replacer cette « comédie musicale » dans son contexte historique, et de ne pas obéir aux critères contemporains influencés par le rythme télévisuel.

Le magnifique film de Bob Fosse a fait oublier l’œuvre originale créée pour le théâtre, la version scénique est plus resserrée et aborde les sujets de façon plus directe. Ainsi, les personnages de Frau Schneider et de Herr Schultz, oubliés dans le film, prennent une grande importance. Le va-et-vient entre les drames privés, le contexte historique et la joie surfaite du cabaret sont la richesse de cette œuvre.

Dans Le Lac d’Argent de Kurt Weill, dans les revues de Spoliansky, dans les livres de Klaus et Erika Mann, dans L’Ange Bleu d’Heinrich Mann et de Von Sternberg, j’ai trouvé les origines de Cabaret, les sources d’inspirations des auteurs de la comédie musicale. Se servant à la base de l’ouvrage de Christopher Isherwood Adieu à Berlin, ils se sont extrêmement bien documentés sur le Berlin des années 25-33 et ont ainsi voulu traiter le sujet dans son contexte culturel et politique.

L1053227.JPG

J’ai demandé à Patrice Gouron et à Jean-Michel Angays d’organiser un univers de coulisses de cabaret comme je les ai connus dans les années 70/80 lorsque je travaillais au Casino de Paris ou au Lido comme simple technicien. Un « condensé du monde », un échantillonnage de l’espèce humaine est représenté... Soit dans une solitude au milieu du groupe, soit dans une cohabitation forcée parée d’un cabotinage de circonstance. J’imagine aussi les coulisses d’un cirque où se rencontrent dompteurs, ballerines, jongleurs, clowns, techniciens, garçons de piste... Récemment, j’ai revu la scène magique du music hall dans le Loulou de Pabst où se jouent à la fois un spectacle sur scène, une comédie en coulisse et un drame dans les loges... Le monde du théâtre est un résumé de l’humanité, avec ses joies et ses compromissions. Le maître de cérémonie de ce cabaret, comme un magicien, nous fait passer sans cesse de l’intime sur une petite scène de théâtre à la grande scène du cabaret s’enivrant de plaisirs aveuglants. C’est pour cela que le décor sera à la fois : la coulisse, la scène, les loges... Une ruche avec un petit théâtre en son cœur. Le vieux marchand juif sera inévitablement le clown sur qui l’on envoie des balles de tissu pour focaliser les angoisses générales, tel autre aura son brassard nazi, tel autre son étoile jaune ou son triangle rose... C’est le génie de cette œuvre très humaine que je vais chercher à révéler avec les artistes que j’ai choisis ou qui m’ont choisi ! Le lieu du cabaret permet, comme dans le cinéma muet expressionniste, de grossir le trait, c’est le sens des costumes que nous préparons avec ses « fantômes » de la mythologie des années 30, le décor « constructiviste » permet de rendre irréaliste et énigmatique les rapports entre ces marionnettes énormes non dépourvues d’émotion, de vie et d’humanité. La musique inoubliable ajoute à cette poésie... « Ni pièce ni chanson ne pouvait arrêter cette marche vers l’inhumanité » Douglas Sirk

bottom of page